FICTIONS LGBT
THE VISITOR ( Le visiteur ) de Bruce LaBruce : nouveau Théorème queer
Avec LE VISITEUR ( The Visitor en VO), Bruce LaBruce délivre à la fois une sorte de film somme de ses obsessions de cinéaste et une relecture provocatrice et explicite du chef d’oeuvre de Pasolini, Théorème. Avec un sculptural et radieux Bishop Black dans le rôle principal.
Londres. De mystérieuses créatures font leur apparition, arrivant par la mer dans de grandes malles. Nous suivons l’une d’entre elles qui prend l’apparence d’un réfugié de couleur noire (Bishop Black). Grand, ultra musclé, aussi puissant que queer, le visiteur va aller frapper à la porte de la vaste demeure d’une famille riche.
Il est accueilli par la gouvernante de la maison (Luca Federici) qui l’adopte de suite et décide de l’intégrer dans la maison où elle travaille en le faisant passer pour son neveu. Avant de l’introduire à la famille, elle lui propose de préparer un repas pour le moins étrange avec elle, utilisant à la fois son urine, son sang et ses selles (!)
Quand le visiteur découvre la famille, il comprend vite qu’il a en face de lui une bourgeoisie désincarnée et que chaque membre mène une existence vide de sens. La mère de la famille ( Amy Kingsmill) noie son mal-être dans un shopping compulsif, le père (Macklin Kowal) semble indifférent et blasé de tout, le fils (Kurtis Lincoln) est colérique et incompris, la fille (Ray Filar) est chipie et un peu hystérique…
Après une séquence de repas qui provoque aisément des hauts le coeur (et que l’on peut voir comme un clin d’oeil étrangement farceur à une scène horriblement inoubliable du Salo de Pasolini) , l’entreprise du Visiteur va peu à peu commencer. Bruce LaBruce ne fait pas de Théorème de Pasolini une simple inspiration. Il en revisite ouvertement l’imagerie et la trame et retourne à sa sauce une multitude de séquences iconiques du film original. Il y apporte sa drôle de touche, explicite, provocatrice, entre fétichisme bizarre et humour punk. Ceux qui ont vu Théorème comprennent vite ce qui va se passer : le Visiteur va aller troubler et charmer chaque membre de la riche famille pour la métamorphoser à tout jamais. Le magnétisme du visiteur est ici accompagné d’une sorte de pouvoir magique et électrique, plongeant chaque personnage dans des des séquences de fétichisme pour le moins originales, teintées de surréalisme.
Outre l’oeuvre de Pasolini, Bruce LaBruce convoque ici sa propre filmographie avec de nombreux motifs de ses longs-métrages précédents qu’il réinvente. Le visiteur est une créature quelque part dans la lignée du zombie de L.A. Zombie ou d’Otto / les slogans révolutionnaires provocants, marquants et drôlissimes rappellent Raspberry Reich et le court-métrage plus récent Purple Army Faction / on retrouve le fétichisme trouble de Skin Flick et l’exploration des troubles incestueux évoqués dans Saint Narcisse…
Ce qui n’aurait pu être qu’un exercice de style se révèle ici rondement mené, particulièrement amusant à regarder. Bruce LaBruce s’éclate comme un gosse et surprend le public en passant son temps à le provoquer par tous les bouts. Son amour de la marge et du mauvais goût viennent joyeusement éclabousser une famille riche interprétée par un petit groupe d’acteurs au queer revendiqué, brouillant les normes de l’identité et du genre.
L’ensemble est hautement référencé mais finit bien par ne ressembler qu’à lui-même, notamment par ses scènes explicites pour le moins inspirées et folles (notamment une incroyable à base de foot fetish avec le personnage du père qui joue la carte du fantasme daddy à l’extrême – et campé par un Macklin Kowal à la beauté abrasive et au charme qui n’en finit plus de nous titiller). Le désir, le bizarre, le dégoût, les limites s’entrechoquent pour un OFNI ne tranchant pas entre plaisir cinéphile et bizarrerie, transpirant l’amour d’un certain cinéma bis queer encore trop peu existant et représenté.
Impossible de ne pas mentionner Bishop Black qui campe le rôle principal du Visiteur et que l’on redécouvre complètement ici. Cela fait maintenant un certain nombre d’années que cet acteur / performer s’illustre dans des projets artistiques underground et des oeuvres adultes arty (on l’a notamment pas mal vu dans les courts-métrages de Noel Alejandro). Il n’a jamais été aussi puissant, fascinant et sublimé que dans ce film. Bruce LaBruce en fait une créature de cinéma débordant de sensualité, joue sur sa beauté pleine de facettes, entre affirmation queer et archétype de force masculine.
Avec ses punchlines improbables, son esprit punk, sa forme aussi étrange qu’affirmée et son cast plein de fierté, LE VISITEUR est un moment de transgression ludique et jouissif.
Film produit en 2024, présenté au Porn Film Festival Berlin 2024 et présenté au Festival Chéries Chéris les jeudi 21 novembre et mardi 26 novembre