CINEMA

TROIS PLACES POUR LE 26 de Jacques Demy : star system et malentendus

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Yves Montand revient à Marseille, terre de sa jeunesse. Devenu une grande star ayant côtoyé Edith Piaf ou Marilyn Monroe, sa présence déclenche l’enthousiasme général. Il prépare un nouveau spectacle qui sera une synthèse de sa vie sous forme de musical. Dans les environs, la jeune marseillaise Marion (Mathilda May) travaille dans une parfumerie et rêve de jours meilleurs. Elle aimerait tellement devenir une star, chanter. Mais cela n’est pas du goût de sa mère (Françoise Fabian) avec laquelle elle vit. Une mère en pleine crise alors que son mari est en prison et que l’argent commence à manquer.

Rêveuse et culottée, Marion va oser aller demander à Yves Montand des places pour son nouveau spectacle : trois places pour la date du 26, comme ça elle pourra emmener ses copines de la parfumerie. Amusé, l’artiste lui offre les places et cède même au caprice de la jeune fille, désireuse de venir assister aux répétitions. Et voilà que la partenaire de danse de Montand arrête brutalement le spectacle pour cause de grossesse. Il faut la remplacer, on donne sa chance à Marion. La jeune fille est ravie mais garde cela secret, ne souhaitant pas que sa mère la traite de saltimbanque.

De son côté, alors que sa vie défile sous ses yeux à l’occasion des répétitions de son show, Yves Montand se souvient de son premier amour. C’était une « entraineuse », elle s’appelait Mylène. Et ce qu’il ne sait pas c’est que Mylène est la mère de Marion…qui est d’ailleurs sa propre fille. Sans détenir la vérité, Yves se laisse peu à peu charmer par la fraicheur de sa nouvelle partenaire de jeu…

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Dernier film de Jacques DemyTrois places pour le 26 est dédié à sa fidèle compagne de cinéma et de vie, Agnès Varda. On y retrouve de nombreuses caractéristiques du cinéma de l’auteur : des passages « en chantés » et dansés (avec cette fois un côté musical exacerbé) , une mère qui vit avec sa fille, des histoires de femmes enceintes et qui doivent élever seule leur progéniture, la vie comme un jeu d’amour et de nombreux hasards, des décors et costumes très colorés, beaucoup de légèreté avec en fond des drames intimes et historiques abordés (ici l’inceste et le nazisme)… et Michel Legrand signe à nouveau la bande-originale. On est hélas pourtant loin de la virtuosité des Parapluies de Cherbourg. Les musiques se voulaient très modernes à l’époque, truffées de boites à rythme qui aujourd’hui paraitront bien ringardes mais qui peuvent aussi donner un côté amusant à cette production souvent « over the top ».

On pense à des passages d’un kitsch hallucinant quand Mathilda May se met à faire des ballerines dans son appartement en chantant des paroles d’une naïveté inquiétante sur le milieu du star system ou à une scène dansée dans la parfumerie. Les chorégraphies et textes flirtent souvent avec le grotesque, le crypto gay et prêtent à sourire, ce qui n’empêche pas d’être charmé : plaisir coupable.

Si l’intrigue est très tirée par les cheveux,  les passages avec Yves Montand constituent sans aucun doute les meilleurs du film. Le temps d’une déclaration d’amour au cinéma en musique, Jacques Demy nous fait à nouveau rêver. Il est d’ailleurs amusant d’observer que les passages les plus cinématographiques sont ceux tournés devant une scène de théâtre. Yves Montand s’amuse avec sa propre vie, le film faisant son autobiographie de façon plus ou moins romancée.

Mais ce qu’on retiendra surtout, ce sont les dernières scènes du métrage, pour le moins subversives. Il y est question d’inceste avec une légèreté totalement inattendue. Certes tout ce qui arrive est le fruit du hasard et de malentendus. Mais tout de même, une fille qui réalise qu’elle a couché avec son père et que sa mère était une prostituée, vous pensez vraiment que la première idée qu’elle va avoir c’est de les réconcilier pour que tout le monde soit heureux ? On ne sait pas trop quoi en penser mais cela confirme bien que derrière ses airs de films/contes acidulés, le cinéma de Jacques Demy avait une vraie noirceur et perversité.

Film sorti en 1988. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3