FICTIONS LGBT
UN APRÈS-MIDI CHEZ PATRICK SARFATI de Antony Hickling : vivre le documentaire
Antony Hickling, réalisateur à l’oeuvre aventureuse, intense et souvent subversive, fait un pas de côté avec Un après-midi chez Patrick Sarfati, documentaire tendre et intimiste sur un photographe français qui a vu passer devant son objectif un nombre incalculable de mecs splendides et autant de célébrités et artistes iconiques.
Dès les premières minutes, le ton est donné : le film s’ouvre sur Antony Hickling qui sonne à la porte de l’appartement de Patrick Sarfati mais quelque chose ne fonctionne pas et ils refont la séquence. Ce qui aurait pu être coupé au montage est ici gardé et tout le film sera ainsi. On peut souvent reprocher aux documentaires sur des artistes d’être trop propres, institutionnels, figés. Ce film-là aurait pu être comme ça avec une succession d’instants où Patrick Sarfati aurait évoqué son oeuvre et ses photos assis dans un fauteuil avec des plans fixes.
Antony Hickling a révélé que quand il est arrivé à l’étape de montage il avait deux films possibles devant lui. Le film « officiel » et tout propre , parfait pour une hagiographie, et le « off » avec tout un tas d’instants faussement anecdotiques et gestes du quotidien qui peuvent aussi en dire beaucoup sur son sujet. Il a décidé de laisser une large part de cette seconde possibilité à son film et c’est ce qui en fait tout son charme (et qui rend Patrick Sarfati encore plus attachant en plus d’être admirable). Le titre du projet est idéal car il résume parfaitement la chose : on a l’impression d’être invité chez ce photographe de légende, de déambuler dans son appartement très chargé en décos et en archives, d’avoir le regard aspiré par tout un tas de reliques fantastiques pleines de souvenirs, d’avoir envie de toucher, déballer, sans vraiment oser.
Avec tendresse et amusement, Antony Hickling et son équipe réduite capte les petits détails de ce qui peut se passer quand on rend visite à cet artiste. Il se presse pour vous proposer un café ou un rafraichissement, il demande à ne pas être filmé en train de fouiller car il n’a pas envie qu’on voit ça (mais il va mettre tout son coeur à ces fouilles pour nous offrir le meilleur), discrètement il va se rafraichir à la salle de bain…
On peut sentir la complicité entre le réalisateur et son sujet, l’admiration aussi même si Patrick Sarfati, très humble et chaleureux, tend à relativiser voire à minimiser son oeuvre franchement vaste et impressionnante. Mine de rien, armé de son appareil Nikon avec objectif 50mm qu’il n’a jamais quitté, il a vu défiler les plus grands : Fassbinder, Jeanne Moreau, Bette Davis, Grace Jones, Keith Haring, Andy Warhol, James Baldwin, Tom of Finland… Et chaque photo cache une histoire passionnante qu’Antony Hickling essaie d’obtenir en tirant subtilement les vers du nez à son hôte, tel un petit garçon dans un magasin de bonbons émerveillé.
Comment étaient ces stars au moment de la séance photo, comment ça s’est passé, quel lien a pu être tissé ? Très généreux et franc, Patrick Sarfati n’est pas avare en souvenirs. Il garde tout de même toujours une forme de pudeur : quand Hickling tente par exemple de savoir s’il a eu une relation proche avec Jean-Claude Van Damme qu’il avait repéré avant tout le monde et présenté à Jean-Paul Gaultier pour son premier grand défilé, le photographe coupe court à tout cancan trop personnel. Il veille aussi à ne pas s’éterniser sur sa relation de travail avec Gaultier dont on devine qu’elle a pu avoir son lot de frictions. Patrick Sarfati aime parler des rencontres, des instants, mais semble mettre un point d’honneur à préserver l’intime, surtout sa propre intimité (il se gardera bien de dévoiler des choses sur sa vie privée). On n’en saura pas davantage sur la façon dont il a pu photographier autant de beaux mecs et de légendes, l’artiste balayant la question en disant que chaque photo et rencontre est spécifique, un cas particulier.
Avec brio, Antony Hickling signe ici une double réussite. D’abord de favoriser l’immersion et de nous faire vivre le moment comme si on était à sa place, comme si le spectateur était l’invité de Patrick Sarfati et se baladait chez lui avec un lien privilégié. Ensuite il fait très bien revivre chaque photographie. Filmer des photographies n’est pas forcément captivant et Hickling y parvient en nous donnant l’impression de déballer avec lui et Patrick Sarfati les archives, de les contempler, les toucher.
Si évidemment le métrage s’attarde beaucoup sur toutes les stars que Patrick Sarfati a pu croiser, il offre une belle porte d’entrée à son travail photographique nous montrant aussi par exemple de belles séries d’un homoérotisme brûlant comme celle sur des lutteurs turcs.
Un après-midi chez Patrick Sarfati est au final bien plus qu’un portrait de photographe. C’est aussi celui d’un réalisateur qui veut faire un documentaire sur un artiste, l’histoire d’une rencontre, d’un échange, d’une filiation. Antony Hickling matérialise l’un de ces instants où l’on peut passer du temps avec quelqu’un qui nous raconte une partie de son histoire, son travail, ses souvenirs, entre convivialité, admiration et facéties.
Enfin, le film montre le poids d’un tel héritage artistique. L’appartement de Patrick Sarfati a des allures de caverne d’Ali Baba donnant irrésistiblement à chaque personne qui y est conviée l’envie quasi d’aller fouiller, chercher, déballer, savourer un petit trésor. Plusieurs fois dans sa carrière, le photographe a été volé. Et il continue de vivre dans la peur que l’on lui dérobe des pièces de son oeuvre. Il raconte ainsi furtivement comment encore aujourd’hui des photos ou des archives disparaissent parfois quand il a des invités. La plupart ne résistent pas à emporter discrètement quelque chose à son insu. C’est d’une certaine façon la malédiction de vivre au milieu de tous ces trésors.
D’une durée très efficace de 1h15, le film ne cesse jamais de captiver, donne envie d’en découvrir plus sur Patrick Sarfati et son travail et de rester en sa compagnie des jours entiers.
Film présenté au Festival Chéries Chéris 2023