CINEMA

UNE CHAMBRE EN VILLE de Jacques Demy : chaos

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Nantes, 1955. Dans les rues, les ouvriers s’opposent aux CRS et luttent pour leurs droits. Dans ce contexte d’affrontement et de grève, François Guilbaud (Richard Berry), outilleur, a plus que jamais la tête ailleurs. Sa petite amie, la douce Violette (Fabienne Guyon), fait pour sa part des plans sur la comète, loin de se douter que sa passion n’est guère partagée. François vit chez Madame Langlois (Danielle Darrieux), vieille baronne et veuve d’un colonel, à qui il loue une modeste chambre. Cette chambre en ville a appartenu autrefois à Edith (Dominique Sanda), la fille de Madame Langlois, qui est aujourd’hui mariée à un vendeur de télévisions (Michel Piccoli). Un mariage qui est tout sauf heureux, l’époux étant impuissant, radin et jaloux maladif. Plus du tout en phase avec la réalité, Edith consulte une cartomancienne qui lui prédit un amour fou et dangereux avec un métallurgiste. C’est alors qu’Edith croise le chemin de François. Coup de foudre et conséquences…

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Jacques Demy revient à Nantes (lieu de son premier long-métrage, Lola) et à la comédie « en chanté » (comme dans les magnifiques Parapluies de Cherbourg) avec Une chambre en ville, nouvelle histoire d’amour maudite et d’affrontements. Sauf que tout ici est plus sombre que jamais. Les CRS s’apparentent à des monstres de l’Enfer prêts à voler la liberté et la jeunesse des ouvriers, répétant leur texte comme des automates. Toutes les histoires d’amour semblent se destiner à des fins tragiques. Chacun porte en lui le poids de la désillusion et de l’interdit. Jamais Violette ne vivra heureuse avec son enfant et François. Jamais Edmond Leroyer aura pour lui seul sa femme Edith. Jamais Madame Langlois ne retrouvera l’amour et la compagnie de son défunt colonel. Et peut-être bien que jamais Edith et François n’auront le temps de vivre pleinement leur amour.

Si la douleur des Parapluies de Cherbourg se passait plutôt hors champ, ici tout explose. Edith traine son mal être dans les rues, nue sous son manteau, prête à se prostituer juste pour le plaisir d’heurter son mari ingrat. Les personnages cèdent à la colère, noient leur désespoir dans l’alcool ou vont jusqu’à se menacer de mort. Dans la rue comme dans les cœurs, le chaos règne. Jacques Demy nous livre ainsi une de ses œuvres les plus sombres et désespérées mais ne perd rien de son univers singulier. On retrouve des tapisseries kitsch plus marquées que jamais, une ambiance de film de studio qui flirte avec le théâtre puis l’opéra. Un opéra tragique, forcément.

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Côté musique, Michel Colombier vient remplacer Michel Legrand. Le réalisateur avait envie de changer, de donner un autre ton à ce film engagé et à fleur de peau. La première réaction est que l’on y perd au change : certains passages ont du mal à passer, il faut un certain temps d’immersion, le côté « en chanté » enchante moins justement, est moins fluide, moins évident que dans Les Parapluies de Cherbourg. Mais ,très vite, l’incroyable virtuosité de la mise en scène et la beauté (pureté brisée ?) du scénario nous emportent. La musique se fait de plus en plus lyrique, les acteurs sont de plus en plus démonstratifs pour aboutir à une énorme tragédie qui ne peut laisser de marbre. Puissant.

Film sorti en 1982. Disponible sur Netflix

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3