FICTIONS LGBT
YOSSI de Eytan Fox : de l’ombre à la lumière
Yossi (Ohad Knoller) est un cardiologue de 34 ans qui se consacre le plus possible à son travail pour oublier son mal-être. Cela fait dix ans qu’il a perdu l’amour de sa vie à l’armée : le beau Jagger. Une passion qui était tenue de rester secrète, les parents de Jagger ignorant ainsi encore tout de l’homosexualité de leur défunt fils.
Un jour, la mère de Jagger vient faire une échographie à l’hôpital de Yossi. Ce dernier en profite pour s’occuper d’elle, se propose pour l’accompagner chez elle et reviendra plus tard la voir pour tenter de lui révéler la vérité. Il y a ce besoin chez Yossi de matérialiser ce qu’il a perdu, de pouvoir partager sa peine, sa perte. En attendant, il est seul. Une solitude dont il est à la fois la victime et l’instigateur. Il ne parvient pas à se reconnecter au monde. Une collègue infirmière, perdue comme lui, lui tend les bras, espère qu’ils pourront se réconforter à deux. Mais elle ignore l’homosexualité de Yossi et il ne semble pas disposé à se livrer. Un autre collègue, homme hétéro fraîchement divorcé, Moti (Lior Ashkenazi), plus proche de Yossi, au courant de son homosexualité, tente lui aussi de le faire sortir de son mutisme. Mais rien n’y fait. Si chacun essaie de tromper le manque, la tristesse qui l’habite, Yossi se mure dans le silence.
Après un échange troublant avec les parents de son amoureux disparu, il décide de prendre la route vers le Sinaï. Il croise le chemin de jeunes militaires en vacances. Ils ont loupé leur bus, il leur propose de les déposer à leur hôtel. L’un des militaires, le pétillant Tom (Oz Zehavi), tape dans l’oeil du docteur déprimé. Il décide de prendre des vacances et de loger dans le même hôtel que les garçons. Au bord de la piscine, Yossi cherche à déceler si Tom est gay, tout en osant à peine espérer avoir une chance avec lui, d’avoir le droit à une seconde chance…
Eytan Fox retrouve le personnage de Yossi, héros blessé de son film Yossi et Jagger. Dix ans après avoir perdu son grand amour, nous le découvrons les yeux tristes et fatigués, en semi-dépression, replié sur lui-même, avec 10 kilos en plus. Heurté et mou, ce personnage d’homme sensible et perdu suscite directement l’empathie et orne le film de mélancolie. C’est une histoire calme et souvent silencieuse sur la solitude. Yossi n’est pas le seul à en souffrir : sa collègue infirmière semble chercher désespérément à tisser une relation avec quelqu’un, son collègue et ami Moti feint le bonheur du retour au célibat après son divorce mais prend des substances en douce pour tenir le coup. Quand on est blessé, pas facile de retrouver sa place dans le monde. Yossi tente de s’oublier le temps d’un plan avec un étalon businessman. Mais la rencontre tourne à l’humiliation, Yossi ayant envoyé une photo ancienne de lui. Une photo datant de son amour avec Jagger, quand il était svelte, quand il souriait encore. Une photo qui ne représente pas le présent.
La première partie du long-métrage nous fait plonger dans le quotidien fait de souffrances rentrées et de non-dits du personnage principal. Tout contact apparaît comme difficile, hostile. Les choses changent quand Yossi part pour le Sinaï et croise une bande de jeunes militaires. Déjà, cette bande de garçons insouciants, complices, lui rappelle le temps où lui-même était dans l’armée, où il était uni à ses camarades. Et, surtout, dans cette bande se trouve Tom, jeune éphèbe qui attire instantanément l’attention du médecin dévasté, qui lui fait à nouveau briller les yeux, lui donne envie de revivre.
Installé sur son transat à l’hôtel où les jeunes militaires prennent du bon temps, le livre de Mort à Venise dans les mains, Yossi mène discrètement son enquête pour savoir si Tom est gay. Il y a dans cette quête quelque chose de désespéré. Yossi cherche à savoir s’il est homo sans pourtant penser une seconde pouvoir le séduire…mais en espérant un peu quand même. La piscine, les spectacles cheap, l’énergie de la jeunesse, transforment la tranche de vie douloureuse initiale en quelque chose de plus solaire.
En cherchant à connaitre Tom, Yossi découvre une autre homosexualité que celle qu’il a pu connaitre. Une homosexualité plus libre, assumée. L’audace et la fraîcheur du jeune Tom provoquent en lui des sensations qu’ils pensaient ne jamais retrouver. Les dernières scènes du film, bercées par la musique de Keren Ann, sont très émouvantes. Elles marquent la renaissance tardive d’un homme qui n’y croyait plus, sa réconciliation avec ce qu’il est et ses rêves enfouis.
Maîtrisé dans la forme, élégante, disposant d’un parfum d’entre-deux, passant avec brio de l’ombre à la lumière, Yossi est un film terriblement attachant, plein d’humanité. L’histoire vibrante et émouvante d’une nécessaire reconstruction.
Film sorti en 2013 et disponible en VOD