FICTIONS LGBT
FORBIDDEN LETTERS de Arthur J. Bressan Jr : amour emprisonné
Aux côtés de maîtres du genre comme Wakefield Poole ou Peter de Rome, Arthur J. Bressan Jr est l’un des cinéastes les plus talentueux et cultes d’un cinéma x gay vintage diablement cinématographique. Preuve en est son chef d’oeuvre (qui a été projeté dans de multiples festivals à travers le monde, qui avait eu sa première mondiale en 1980 à la Berlinale et qui a aussi été projeté à la Cinémathèque française) : Forbidden Letters.
On comprend rapidement que nous ne sommes pas devant un banal film pour adulte avec une introduction intrigante, des plans décadrés, de la caméra épaule.
Années 1970. L’histoire est celle de Richard (iconique Richard Locke dont on n’oubliera jamais sa trilogie avec Joe Gage), un homme fin de trentaine qui s’est retrouvé pour une mystérieuse raison en prison (peut-être pour son engagement gay militant ?). Cet emprisonnement l’a séparé de son amant et compagnon bien plus jeune que lui, âgé d’une petite vingtaine d’années, Larry (Robert Adams). Tout le temps où Richard a été incarcéré, Larry ne lui a pas envoyé de lettres. Du moins c’est ce que Richard pourrait penser. En même temps, ces lettres ne seraient sans doute pas passées dans un milieu carcéral homophobe.
Le film suit Larry, nerveux, alors que le jour de la libération de Richard arrive. Il vit dans l’appartement qu’ils partageaient ensemble. Il se demande si Richard lui en voudra de ne pas avoir écrit, s’il a changé, si leur histoire a encore une chance. C’est une journée particulière qui s’annonce et Larry la commence en parlant au téléphone à Iris (Victoria Young), meilleure amie de Richard et travailleuse du sexe, qui lui conseille de sortir, aller au cinéma x, rencontrer des mecs, faire du cruising, profiter du « paradis homo » qu’est San Francisco puis la retrouver le soir pour diner. Larry va suivre ses conseils à la lettre.
Alors que nous suivons ses déambulations dans les rues, dans un cinéma adulte ou dans des coins où la drague gay se déploie, nous partageons avec lui ses souvenirs de sa relation avec Richard (à noter que l’une des scènes inaugurales projette une succession de photos qui s’avèreront être les souvenirs se matérialisant plus tard à l’écran, en mouvement). Il se souvient de leur rencontre au Cabaret, à Castro. D’emblée il avait été fasciné par Richard, homme plus âgé, charismatique, viril, libre. Il n’osait l’approcher mais avait fini par y parvenir. Et puis l’amour…
Forbidden Letters alterne passages en noir et blanc (représentant un présent mélancolique et solitaire, Larry trainant sa petite mine sur laquelle se devine son coeur brisé et Richard évoluant au beau milieu de la prison d’Alcatraz) et superbes séquences très colorées (représentant la naissance de l’amour entre le daddy et le twink avec un hédonisme aussi romantique qu’abrasif).
Ce n’est pas un hasard si Forbidden Letters, des décennies après sa sortie, continue d’être projeté dans des hauts lieux de cinéphilie : l’histoire est touchante, d’un sentimentalisme qui va droit au coeur, empreinte d’un fétichisme poétique. Mais surtout c’est la mise en scène impressionnante, extrêmement libre et par moments absolument sublime d’ Arthur J. Bressan Jr qui marque le spectateur pour toujours.
Plans aériens, immersifs, souvent en caméra épaule, nous faisant naviguer entre les limbes de l’enfer (la prison) et le plus beau septième ciel. Le cinéaste ne manque pas d’inventivité et d’idées poétiques. Comme quand il nous emporte dans les pensées de Richard en prison, nous faisant découvrir le quotidien du monde carcéral et le faisant éclater par un moment de plaisir solitaire aux accents oniriques. Comme quand Larry trompe l’angoisse et la solitude en allant dans un cinéma pour adultes et se retrouve soudain de l’autre côté de l’écran. Comme quand les souvenirs les plus tendres et l’envol des sentiments se mêlent à des moments où les corps jouent ensemble pour fusionner à la perfection.
Sorti en 1979, Forbidden Letters peut se targuer d’être encore aujourd’hui l’un des plus beaux films d’amour gay et sans doute un des rares qui parvienne à matérialiser et marier la beauté des sentiments du coeur à ceux du corps. On a rarement vu l’intimité entre hommes si bien filmée, avec autant de justesse, de vérité, de plaisir. Les fragments d’amour en flashback constituent une ronde entêtante, touchée par la grâce.
D’une durée concise et parfaite de moins de 1h20, ce long-métrage devenu culte a absolument tout : une réalisation qui n’a rien à envier aux plus grands (on pense notamment et logiquement à Jean Genet), une voix off littéraire d’une écriture qui touche profondément, une bande-originale exquise entre classiques et envolées pop-folk sentimentales, une photo magnifique, un trio d’acteurs parfaits et magnétiques, une histoire simple, universelle, attachante, touchante, des moments de cinéma qui éblouissent ou hantent. La splendeur de l’ensemble a tout pour obséder le cinéphile curieux. Un monument du genre à (re)découvrir absolument.
Film produit en 1979 et disponible en version restaurée sur le site Pinklabel