FICTIONS LGBT
TAEKWONDO de Marco Berger et Martin Farina : la beauté des garçons hétéros
Argentine. German (Gabriel Epstein) arrive dans la grande et somptueuse demeure avec piscine de Fernando (Lucas Papa), un garçon avec lequel il a sympathisé lors de ses cours de Taekwondo. Régulièrement, ce dernier invite ses nombreux amis masculins à passer du bon temps chez lui. A peine arrivé, German est surpris de se retrouver encerclé par une horde de mâles se baladant en maillot de bain toute la journée quand ils ne sont pas dans le plus simple appareil.
Les journées se suivent dans ce huis clos solaire entre hommes et German fait son possible pour masquer sa gêne. En effet, alors que tous ses nouveaux camarades ne parlent que de sexe et de filles, German est gay et il est de plus en plus troublé par la promiscuité et l’exhibitionnisme innocent des autres garçons. Il est aussi et surtout irrésistiblement attiré par Fernando dont il n’arrive pas à déceler s’il est gay ou non. Un étrange jeu de regards, de chaud et de froid s’instaure entre eux. C’est parti pour des vacances où la tension sexuelle va monter crescendo.
Marco Berger, réalisateur talentueux qui avait déjà signé de très beaux films comme Plan B, Absent ou Hawaii, fait équipe avec Martin Farina (réalisateur d’un documentaire polisson sur une équipe de foot) pour ce Taekwondo qui aura de quoi laisser sans voix le spectateur. Les deux cinéastes ont toujours assumé leur goût pour la langueur, la sensualité, le corps masculin, et n’ont jamais eu peur de lorgner vers la carte du voyeurisme.
Dès les premières minutes, German, le personnage principal, se retrouve face à un hétéro qui se promène dans le salon et mange son petit déjeuner le sexe à l’air. Le ton est donné : dans la demeure de Fernando, les garçons hétéros ne semblent pas avoir de notion de pudeur. Tout le métrage durant, la caméra scrutera les corps et les visages, tous magnétiques et appétissants, des différents hôtes qui traînent au bord de la piscine ou se baignent, font des siestes en se caressant les poils du bas du torse ou en se remontant les parties intimes à travers le maillot de bain.
Cela aurait pu être un simple exercice de style, une sucrerie un peu vaine promettant à qui veut se rincer l’oeil de satisfaire à 200 % sa soif de voyeurisme. Mais Taekwondo, qui explose les limites de la tension sexuelle, va bien plus loin que ça et très subtilement par ailleurs. Outre l’aspect profondément enivrant de sensualité de l’oeuvre, la mise en scène, d’un érotisme somptueux et ravageur, raconte dans le silence une multitude de choses.
Au premier plan d’abord, l’amitié masculine hétérosexuelle. Le plaisir d’être entre garçons, de jouer aux jeux vidéo, fumer des pétards, faire du sport ou la fête et surtout de parler librement des filles. Certains se posent des questions sur leur copine trop possessive ou sur la difficulté d’être fidèle, d’autres n’en finissent plus de tenter de se vanter en racontant des prouesses sexuelles passées. L’amitié entre garçons reste mine de rien un sujet pas si traité que ça sur grand écran et les réalisateurs en retranscrivent toute l’essence et la beauté. Au naturel des dialogues se mêle le regard du personnage principal, qui est gay mais n’ose pas le dire pour ne pas casser l’ambiance « virile » et les fantasmes de Marco Berger et Martin Farina.
Non sans humour, la caméra capte l’homoérotisme débordant de cette colocation en petite tenue, comment avec innocence, sans s’en rendre compte, tous ces hétéros ont des rapports sensuels entre eux. Les peaux n’en finissent plus de se frôler et se toucher. On a parfois même l’impression de sentir jusqu’à l’odeur de ces jeunes sportifs alors qu’ils s’entassent dans une chambre, sur un canapé, sous la douche ou dans un sauna. Ils font tous comme si de rien n’était mais chacun se scrute et se trouble.
Ode suprême au fantasme du garçon hétéro (ou prétendument hétéro), Taekwondo sonde les rapports de celui-ci aux autres et à lui-même. Le film répond en filigrane aux questions « Qu’est-ce qu’être un garçon hétéro aujourd’hui ?», « Comment se vit l’amitié entre hétéros ? », « Comment les garçons parlent-ils des filles et de leur sexualité lorsqu’ils sont entre eux ? ». Bien plus abstrait et profond qu’il n’y parait sous ses airs de contemplation XXL du corps masculin, le long-métrage sonde aussi l’état très particulier d’un gay qui se retrouve encerclé par des hétérosexuels. Fascination pour la camaraderie virile, attraction des corps mêlés à une relative gêne.
Paradoxalement, le fait que tous les mâles se baladent à moitié nu en permanence car ils se sentent libres et « entre eux » amène German à se sentir plus inhibé. Ce n’est pas un gay dans le placard mais il sent que s’il parlait ouvertement de son homosexualité dans ce cadre, il jetterait un trouble. Si les corps sont aussi libérés, c’est parce qu’ils ne se sentent pas épiés ou considérés comme des objets de désir.
La nudité masculine supposément hétérosexuelle devient un sujet de convoitise autant que de réflexion et on sent le rapport complexe de ces hétéros face aux autres garçons. Dans la bande, on se demande si Leo, qui est en couple avec une fille et qui avait fricoté avec Fernando le temps d’une nuit très arrosée, ne serait pas un homo refoulé. Ce dernier scrute en effet avec un oeil jaloux l’amitié ambiguë entre Fernando et German. Fernando lance à un moment qu’il a été bisexuel avant de devenir gay mais impossible de savoir s’il dit vrai ou s’il plaisante. Dans un cadre bourré de testostérone, les frontières entre la simple camaraderie et l’attraction peuvent être infimes.
Epousant le regard et les sensations de German, le spectateur rit nerveusement face aux ambiguïtés et aux doutes qui n’en finissent plus de s’accumuler, confronté à un désir si retenu qu’il finit par faire tourner la tête. C’est peu dire que Marco Berger et Martin Farina signent là l’un des films les plus érotiques et riche en tension sexuelle de toute l’histoire du cinéma gay. Le projet déclenche quelque chose de très physique et plus les frustrations se succèdent, plus elles provoquent des étincelles.
Taekwondo sonde aussi ce que provoque le fait de cohabiter essentiellement entre garçons. Les prises de tête, l’esprit de compétition, la frustration sexuelle alors qu’on parle de filles toute la journée bien qu’il n’y en ait aucune dans les parages. Plusieurs personnages de sexe féminin font intrusion ponctuellement dans la demeure, rendant dingues ces messieurs qui à force d’être privés de compagnie féminine se retrouvent légèrement réduits à l’état de bête.
Il y a donc bien des sujets et sensations analysées au peigne fin autour de ce ballet des corps étourdissant. Jusqu’à un final en apothéose, Taekwondo ne cesse de fasciner, de jouer avec nos pulsions, notre désir et notre frustration. Une réussite totale qui n’est pas loin du chef d’oeuvre inclassable.
Film sorti en 2016. Disponible en DVD et en VOD sur OutplayVOD