FICTIONS LGBT
UN MIRACLE BRÉSILIEN de Philippe Vallois : le cinéma et l’amour selon Vallois
Cinéaste français extrêmement précieux et totalement unique en son genre, Phillippe Vallois revient avec un long-métrage entre documentaire et autofiction qui raconte sa carrière, sa filmographie, sa vie, ses amours. Et aussi ses joies du présent alors que le film marque l’avènement d’UN MIRACLE BRÉSILIEN comme l’indique le titre du projet.
Le film s’ouvre sur la voix off d’un garçon brésilien exalté qui nous raconte qu’un jour en découvrant le film Johan, il a trouvé son réalisateur préféré. Coup de coeur total pour le travail de Philippe Vallois et début d’une obsession cinéphile. Officiant comme narrateur, il nous indique aussi que le cinéaste vit seul à la campagne mais ne s’ennuie jamais car en lui cohabitent deux personnages qui dialoguent ensemble en continu : Fifi (qui a l’apparence ordinaire de Phillippe Vallois aujourd’hui et qui est sa part plus sérieuse, besogneuse mais aussi passionnée, déterminée et parfois naïve) et Filoche (qui porte une perruque brune comme pour tromper le temps qui passe, traduisant son désir de ne jamais faire un trait sur la vigueur et la folie de sa jeunesse, correspondant à une part plus extravertie, plus sexualisée, plus cynique et pleines de doutes aussi).
Ces deux personnages qui émanent directement des pensées intérieures de Phillippe Vallois vont se livrer à un jeu réjouissant de ping pong verbal tout le métrage durant. Au tout début, Fifi réfléchit à son nouveau projet de film et est happé par un inconnu qu’il n’a jamais rencontré et avec qui il entretient une relation virtuelle depuis quelques temps. Serait-ce les années qui passent qui pourraient le rendre plus vulnérable ? Filoche le met en garde : cette relation digitale sent à plein nez l’arnaque. Et le spectateur, complice, va rapidement être de son avis alors que les échanges entre Fifi et son « nouvel amoureux » vont se révéler rapidement surfaits.
Finissant par comprendre qu’il est tombé sur un arnaquer qui n’en a que faire de lui, Fifi ne va pas avoir le temps de se lamenter : un petit miracle lui tombe dessus. Il y a un autre garçon avec qui il échange depuis un moment en ligne : Bruno Hilario (le fameux garçon brésilien et narrateur). Plusieurs fois, Bruno était entré en contact avec lui, étant fan de son travail. Au fil des années, parvenant à devenir le directeur de la cinémathèque de Belo Horizonte au Brésil, il a fini par trouver enfin les moyens de réaliser son rêve : faire venir dans son pays son cinéaste adoré. Il s’est démené pour pouvoir lui consacrer dans plusieurs villes des rétrospectives et masterclass autour d’une sélection de ses films et a pu grâce à l’ambassade française trouver les fonds pour l’inviter.
Fifi est logiquement flatté et très enthousiaste à l’idée de découvrir le Brésil qu’il n’avait jamais pu explorer. Il se dit que Bruno doit être un homme de son âge qui a découvert Johan à l’époque de sa sortie dans les années 1970. Mais voilà que Bruno lui envoie une vidéo de lui et se révèle être un jeune homme aussi adorable que mignon…
Cette invitation brésilienne va être l’occasion pour Fifi de commenter la sélection de films choisis par Bruno mais aussi de revenir sur l’ensemble de sa filmographie. Philippe Vallois prend alors le contrôle de la voix off pour nous offrir une vaste et passionnante plongée dans son cinéma. Un pur plaisir de cinéphile pour ceux qui aiment son cinéma et souhaitent approfondir avec tout un tas d’anecdotes et de secrets de tournage, entre amusement et émotions. Et une très belle porte d’entrée pour ceux qui ne connaîtraient pas « le septième art selon Vallois ». On glisse en effet de film en film avec de nombreux extraits qui en retranscrivent l’essence, nous les faisant vivre ou revivre tout en agrémentant cela de mises en perspective (résumés, archives et critiques de l’époque, réception des films, comment ils ont pu être réalisés, comment le public a pu les découvrir).
C’est l’occasion de se passionner plus que jamais et de saluer l’incroyable ténacité de ce réalisateur qui a pratiquement fait tous ses films sans producteurs, avec des budgets proches du néant, uniquement guidé par sa passion et sa foi dans le cinéma. C’est une véritable leçon qui se déploie à l’écran : toujours plein de ressources, Phillippe Vallois ne se laisse jamais abattre par les contraintes et trouve toujours le moyen de matérialiser les histoires qu’il veut raconter. Peu importe si au final ce sera fait avec des bouts de ficelle, que les effets spéciaux soient grossiers, que l’interprétation ne soit pas toujours juste. Car quand on y croit, quand on le fait avec ses tripes, son coeur et avec une énorme sincérité et générosité, le miracle se produit : le public fait lui aussi abstraction des moyens qui peuvent entraver la forme et a lui aussi envie d’y croire, se laisse porter par l’énergie, l’imagination, l’écriture, l’humour, l’amour. En plusieurs décennies, passant par toutes les technologies et formats, peu de cinéastes peuvent se targuer d’avoir accompli ce que Phillippe Vallois est parvenu à faire à travers sa dense filmographie, diablement éclectique et cohérente, entre fictions, auto fictions et documentaires. Il y a cette magie unique dans ses films, une folie, une imagination qui font qu’on a toujours envie de le suivre. Il a ce don de nous embarquer. Et on rit avec lui des petits ratés, quand il force le trait, quand les situations et les échanges peuvent devenir improbables. C’est l’autre grande force de ses oeuvres : on ne peut jamais prédire à l’avance ce qui va se passer, il y a toujours une réplique, une image, un effet qui nous prend par surprise, nous faisant exploser de rire ou suscitant l’émotion.
Un miracle brésilien est un film qui donne envie de se plonger ou se replonger de plus belle dans la filmographie délicieusement « underground » (comme un délicieux secret qu’on a envie de partager avec les cinéphiles qu’on estime) de Vallois. C’est le premier gros aspect de ce projet. Le second, c’est ce qui en a constitué le moteur : l’invitation du craquant Bruno qui donne lieu à une auto fiction au présent, qui montre que le cinéma de Phillippe Vallois, tout comme son coeur, sont bien vivants. Beauté de la transmission, du nouveau souffle. Alors qu’il rencontre son public et s’en crée un nouveau, le réalisateur suit son hôte de ville en ville et on comprend que quelque chose se passe, au-delà d’un échange cinéphile. Si Filoche a encore envie de s’amuser un peu et de mater les beaux danseurs de capoeira, Fifi n’a lui qu’une envie : passer un maximum de temps avec Bruno. Comme un miracle, une nouvelle romance peut venir vous faire chavirer à nouveau.
Entre mémoires, pertes, nostalgie et soif inébranlable de créer, de ressentir et se réinventer, Un miracle brésilien constitue une pièce maîtresse dans la filmographie de son auteur qui s’offre sa propre restrospective et qui nous laisse avec le sourire, comme la promesse de lendemains qui chantent.
Film produit en 2024 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024