CINEMA
UNE VIE CACHÉE de Terrence Malick : pour le Bien
Après les conceptuels et californiens « Knight of cups » et « Song to Song », Terrence Malick semble revenir à ses premières amours avec Une vie cachée qui raconte la lutte admirable d’un autrichien refusant de céder aux sirènes d’Hitler.
Un village isolé en Autriche. Franz (August Diehl) vit des jours calmes et heureux avec sa femme Franziska (Valerie Pachner) et leurs enfants. Le quotidien est articulé autour des tâches de la ferme et de la Terre. La fin des années 1930 pointe le bout de son nez et les temps sont durs et sombres. Le nazisme gagne du terrain et petit à petit l’Autriche est prise dans les filets de l’idéologie hitlérienne. Dans le village, l’apologie d’Hitler se diffuse comme un poison au fil des discussions entre le maire et ses habitants. Franz s’écarte de ce climat de haine grandissant et espère être épargné par les appels à faire la guerre qui en plus de mettre la vie en danger obligent chaque recruté à jurer fidélité à Hitler.
La résistance de Franz lui vaut d’abord quelques regards en coin. Mais au fil des semaines, alors que tout son village a cédé avec un effrayant enthousiasme au nazisme, son refus devient insupportable pour ses pairs. On le qualifie d’orgueilleux, on finit par le mettre à l’écart, on le persécute. Pour cet homme pieux, obsédé par le besoin de défendre le Bien, il est impensable de flancher même si cela pourra avoir des conséquences sur sa famille. Sa femme le défend et le suit. Les choses se compliquent sérieusement quand Franz est finalement appelé à faire la guerre. Il n’a plus le choix, il ne peut plus se cacher et son refus de jurer fidélité à Hitler lui vaut d’être emprisonné et de devenir une cible à potentiellement abattre…
Comme l’indique le carton de fin du long-métrage, Terrence Malick dédie cette oeuvre à ces héros cachés, ces vies cachées, ces hommes et ces femmes qui ont accompli des choses admirables, ont témoigné d’un courage extraordinaire, se sont sacrifiés sans que leur exploit n’émerge ou reste dans les mémoires (et évidemment ils ne cherchaient aucunement la moindre reconnaissance). Franz Jägerstätter est de ces hommes. Il a sacrifié sa liberté (il aurait pu fuir dans la forêt au moment de sa convocation pour la guerre), sa famille (refuser de suivre Hitler incluait de l’éloigner des siens et de faire de tous ses proches des cibles) et sa propre existence pour rester fidèle à ses valeurs, à son besoin de suivre la voie du Bien.
Si visuellement la nature autrichienne où se déroule l’intrigue peut faire songer aux premières oeuvres de Malick (La Balade Sauvage, Les moissons du ciel) et que la guerre en arrière-plan évoque La ligne rouge , côté fond on retrouve le côté plus religieux de Tree of Life et A la merveille. On est donc ici face à un pur film de Terrence Malick, fidèle à ses thématiques (le Bien et le Mal, la notion de paradis perdu, une nature transcendée) et à son esthétique (omniprésence de la voix off, plans aériens accentués ici par l’utilisation du grand angle). Le film, portrait d’un homme qui reste fidèle à ses valeurs et principes jusqu’au péril de sa vie, détonne avec notre époque individualiste, où tout le monde ne pense qu’à sa poire, n’a plus forcément d’idéaux.
On retrouve toutes les grandes qualités du cinéaste qui nous invite à un voyage cinématographique qui fait réfléchir, qui aère l’esprit, hypnotise par son calme, son rythme à part et ses images souvent sublimes. Une fois encore, on accède à une forme de transe et il y a de très belles choses dans Une vie cachée qui montre toute la douleur infligée aux véritables héros, la force d’un grand amour inconditionnel, la folie des hommes, l’impuissance de l’Eglise. C’est assez pour donner envie aux fans de rester accrochés à leur siège pendant près de 3 heures très contemplatives mais cela mettra aussi à n’en pas douter la patience des spectateurs moins aventureux à rude épreuve. L’oeuvre est trèèèèès lente et exigeante et sa beauté intemporelle et mystique se mérite.
Film sorti le 11 décembre 2019