FICTIONS LGBT
OF AN AGE de Goran Stolevski : sublime romance gay nostalgique
Imaginez une romance gay indépendante qui vous fait penser à Before Sunrise, Weekend, Happy Together, Call me by your name ou encore Dawson, le tout avec la nostalgie de la fin des années 1990… C’est le programme de OF AN AGE du réalisateur Goran Stolevski, magnifique surprise , sans doute l’une des plus belles romances gays sorties ces dernières années, qui vous attrape par surprise pour ne plus jamais vous lâcher. Énorme coup de coeur.
Le film s’ouvre sur Nicolas dit Kol (Elias Anton), un jeune homme d’origine serbe qui écoute la chanson « Ce matin-là » de Barbara un soir, non loin d’une route, et qui n’a pas l’air d’aller bien du tout. Il appelle une ancienne amie, Ebony (Hattie Hook), mais celle-ci n’est pas là et c’est sa mère qui décroche. On devine que Kol est dans un certain état de détresse émotionnelle. Que se passe-t-il ou plutôt que s’est-il passé ?
Of an age déploie alors sa première partie nous plongeant un jour d’été de l’année 1999. Les 15 premières minutes du film sont trompeuses. Cela commence dans une certaine torpeur : Ebony, à la fin de son adolescence et prête à entamer sa vie étudiante, appelle son meilleur ami Kol pour lui demander de l’aider. Elle vient de se réveiller déphasée à des dizaines de kilomètres de chez elle après une soirée de débauche en mauvaise compagnie. Elle attend de Kol qu’il trouve un moyen de venir la chercher. Sauf que ce jour-là Ebony et Kol devaient normalement participer à une finale de danse importante pour le jeune homme. Une solution finit par être trouvée : le grand-frère d’Ebony, Adam (Thom Green), qui a une voiture, va venir chercher Kol et ensemble ils vont aller retrouver Ebony. Pour le concours de danse c’est toutefois visiblement fichu…
Kol et Adam ne s’étaient jamais rencontrés jusqu’alors (Adam vivait à l’étranger) et ils vont avoir un long trajet à faire ensemble. Façon road movie, on suit ces deux personnages qui se découvrent alors que dans la voiture d’Adam se joue la musique de ses K7 audios dont une notamment qui reprend la bande-originale du film Happy Together qu’il conseille à Kol. Les deux garçons connectent rapidement, n’en finissent plus de discuter, se trouvent pleins de points communs. Adam est féru de cinéma, de musique et de littérature et Kol est en pleine découverte de ces arts. Alors qu’ils finissent par retrouver Ebony, Kol comprend au détour d’une phrase bien placée par Adam que ce dernier est gay. On le voit sous le choc.
C’est la fin des années 1990, ce moment où on pouvait commencer à assumer son homosexualité mais où ça n’était pas franchement simple non plus. Le spectateur ressent rapidement le vertige qui habite Kol, qui jusqu’alors à l’évidence refoulait son homosexualité et qui la ressent comme une évidence alors qu’il vit une sorte de coup de foudre pour Adam, garçon plus âgé, grand-frère de sa seule et meilleure amie.
Si l’on pense à Call me by your name c’est pour l’aspect très joliment romantico-fétichiste du film (les K7 audios et leurs chansons qui vont hanter, les vieux T-shirts qu’Adam va finir par offrir à Kol). Et si l’on pense à Before Sunrise ou Weekend c’est parce que le film se concentre sur 24h qui vont marquer à jamais la vie des deux personnages. Alors que Kol se prend en pleine face son homosexualité qui lui apparait pour la première fois comme une évidence et que cela est matérialisé par son désir brûlant et dévorant pour Adam, il apprend que ce dernier, qui a récemment rompu avec son ex, va quitter la ville le lendemain et aller étudier à l’étranger. Quelque chose peut-il se passer entre eux ?
La tension sentimentale du film monte crescendo avec la peur répétée d’au revoirs pouvant sonner comme des adieux. Infiniment romantique (et aussi cruellement réaliste), Of an age va faire de ces 24h un moment hors du temps, suspendu, inoubliable, intense, apte à hanter. Et il ne va pas s’arrêter là : en un peu moins de 30 minutes, un acte 2 prenant place en 2010 va se déployer, nous faisant retrouver les personnages, devenus plus adultes, 11 ans après, se retrouvant à l’occasion d’un mariage.
Ce long-métrage définitivement nostalgique et mélancolique aura à coup sûr une saveur particulière pour ceux qui ont pu connaitre leurs premiers émois entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, là où il n’y avait pas encore de réseaux sociaux. Il ravive toute la force d’un coup de foudre fugace, d’un premier amour dévorant et fantasmé. C’est aussi et surtout le portrait de deux garçons qui ont contenu leur homosexualité, qui ont eu des coming out franchement pas évidents, qui connaissent la solitude de ceux qui se passionnent pour la culture sans pouvoir nécessairement partager ça avec quelqu’un. Deux garçons romantiques qui peuvent bloquer 10 ans dans leur tête sur une soirée au parfum de « Et si ? », ressassant l’extase et la frustration d’un moment qui a été empêché de s’inscrire dans la réalité, sur la durée. Si la fascination et la tendresse sont partagées, Kol est sans aucun doute le plus à vif des deux, le plus sensible. C’est un garçon qui a du mal à exprimer ses émotions, qui a du mal à se lier aux autres et qui garde en lui une sorte de fêlure ouverte là où Adam, plus âgé et plus endurci, canalise davantage les troubles du coeur.
On ressort de Of an age les yeux trempés, le coeur tout chamboulé. Déjà grâce aux magnifiques performances des deux comédiens principaux, Thom Green (incarnant Adam, dont on tombe amoureux nous aussi en adoptant le regard pur et fasciné de Kol) et Elias Anton. Le magnétisme entre les deux acteurs est ravageur et toutes leurs scènes ensemble sont à la fois très subtiles (ça joue à fond sur les regards, les silences, les petits gestes qui veulent tout dire) et d’une rare puissance.
Cela est évidemment renforcé par la mise en scène de Goran Stolevski, hyper sensorielle. Le road movie qui joue parfaitement avec le naturel, la promiscuité, les gros plans, les sens en éveil. L’atmosphère et les silences gênés de ces moments où l’on doit se quitter. Celle d’une soirée enfumée. Celle d’une étreinte au lever du jour, après une longue nuit à rouler pour le plaisir. Et le tourbillon de l’instant où tout peut basculer.
Of an age a le parfum ensorcelant et déchirant des paradis perdus (et pas seulement d’un point de vue sentimental, la deuxième partie explore de façon très touchante l’évolution, l’éloignement et la réunion de Kol et Ebony) et son écriture et ses idées, riches en références cinématographiques et musicales, vise toujours dans le mille. Le dernier tiers, faisant le constat du temps qui passe, des choses qu’on ne pourra plus rattraper ou changer, a quelque chose de sublime et de foudroyant à la fois. Quand un surpuissant sentiment d’amour fugace aux allures d’absolu nous frappe, faut-il s’estimer chanceux d’avoir pu le connaitre ou pleurer sur la malédiction d’un Eden qui pourrait rester à jamais inaccessible ? Jusqu’à sa dernière réplique, son dernier plan, sa dernière seconde, Of an age nous transperce au-delà de tout ce qu’on aurait pu imaginer. Et rejoint instantanément la liste des plus belles romances gays indépendantes de tous les temps.
Film produit en 2022 et disponible en VOD