FICTIONS LGBT
SAINT NARCISSE de Bruce La Bruce : doubles
Bruce La Bruce délivre avec Saint Narcisse un drôle de film entre mysticisme, thriller et érotisme troublant. Avec le très sexy Félix-Antoine Duval comme rôle principal.
Années 1970. Dominic (Félix-Antoine Duval) est un beau garçon narcissique qui vit chez sa grand-mère qui l’a élevé. Alors que cette dernière est emportée par la maladie, Dominic découvre une collection de lettres qui lui apprennent que sa mère, qu’il pensait morte, est potentiellement encore en vie. Il fonce à moto à sa recherche et finit par la retrouver.
La mère, Béatrice (Tania Kontoyanni), vit isolée au milieu de la nature avec une jeune femme, Irene (Alexandra Petrachuk). Les retrouvailles ont lieu sous le signe de l’émotion même si Irène, dont les liens avec Béatrice restent flous, n’est pas très emballée par l’apparition de Dominic qui vient bousculer la routine qu’elle appréciait jusqu’alors.
Au fil des jours, Dominic découvre les raisons pour lesquelles Béatrice l’a abandonné : alors qu’elle était enceinte de lui, elle avait succombé à la tentation d’une liaison avec une autre femme ce qui lui valut d’être fortement condamnée par son époux et par la société. On l’a dépossédée de son enfant et poussée à vivre en exil avec son amante qui avait pour sa part déjà un enfant et qui se révèle être Irene. Cette dernière est par ailleurs la copie conforme de sa défunte mère…
Comme si toutes ces révélations ne suffisaient pas, Dominic soupçonne Béatrice d’être une sorcière et est depuis quelques temps troublé par des hallucinations qui le submergent et lui présentant un jeune moine à l’air potentiellement menaçant. Dominic va découvrir que ce moine vit près de chez Béatrice et qu’il s’avère être son double. Les deux garçons vont être amenés à se rencontrer, se confronter et à tisser une relation au-delà des étiquettes et de la morale…
La filmographie de Bruce LaBruce est aussi dense qu’éclectique entre productions adultes aux allures de provocations politiques (comme The Raspberry Reich) et oeuvres underground / punk déjantées (comme le culte Hustler White ou encore No skin off my ass). Avec Gerontophilia, le réalisateur surprenait en présentant un film plus romantique, soft et doux. Saint Narcisse est un peu à la croisée des chemins de tout cela, film « traditionnel » mais qui a la liberté et le charme de l’underground et toujours un goût malicieux pour la provoc.
L’ensemble s’apparente à un joyeux bordel et fait par moments penser à une version gay des productions softcores qui émergeaient dans les années 1970. On pense aussi aux films de la nunsploitation (sauf qu’ici on fait un tour chez des moines pas très catholiques). Comme le titre l’indique, Bruce LaBruce s’inspire aussi de la figure de Narcisse qu’il transpose dans les seventies, y ajoutant par-dessus une référence à Saint Sebastien. Enfin, il y a un petit côté thriller ésotérique. Secouez le tout et vous obtenez logiquement un résultat assurément étrange et hybride, fragile, clairement pas pensé pour séduire le grand public (qui pourra vite être choqué par les trajectoires des personnages qui suivent des désirs parfois très surprenants, provocants, pour ne pas dire amoraux)… et c’est ce qui contribue à en faire son charme !
Produit modestement, le cinéma de Bruce LaBruce a toujours ce je ne sais quoi de cool, sexy et attachant. C’est le cas ici où l’intrigue s’apparente par moments à une production de cinéma z tout en développant pourtant une multitude de thèmes intéressants et en assurant le divertissement. Narcissisme, doubles, provocation vis à vis de la religion et du modèle archaïque de la famille : le cinéaste semble s’éclater à jouer les sales gosses et nous fait souvent sourire tout en dressant avec modestie et générosité une oeuvre plus réfléchie et théorique qu’elle n’y parait derrière ses aspects lubriques et potaches.
Impossible de ne pas mentionner l’acteur principal, Félix-Antoine Duval, dont la belle gueule et le corps délicieux ensorcellent la caméra de Bruce LaBruce autant que nos petits yeux. Il est parfait dans un double-rôle et aussi sexy en motard rebelle au grand coeur qu’en moine attisant les désirs d’un Père Andrew bien vicelard et toqué. Le comédien utilise ses émotions et sa chair au service du film et est en quelque sorte la toile de son réalisateur qui dessine ici une masculinité fluide, toute en nuances, déboussolant les orientations sexuelles.
C’est aussi grâce à lui qu’on passe un bon moment devant ce Saint Narcisse rafraichissant qui parvient à transformer chacune de ses imperfections en charme.
Film produit en 2020 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen